La stigmatisation en touche plus d’un

Parfois mieux vaut être noir et homosexuel
Lu dans « La société du paraître ». J-F Amadieu. Ed Odile Jacob.

Dans une enquête menée par l’Insee, la question suivante a été posée : « est-il arrivé que l’on se moque de vous, que l’on vous mette à l’écart, que l’on vous traite de façon injuste ou que l’on vous refuse un droit… » Les réponses ont montré que le poids et la taille étaient les premiers motifs invoqués, l’obésité étant le premier motif invoqué et ceci par un quart des victimes.
Rien de surprenant, me direz-vous. Quand on connaît la tyrannie de la minceur et du look…
D’autant que dans un sondage réalisé en 2012 aux USA, 6 personnes sur 10 trouvent normal de faire des remarques sur leur poids aux personnes grosses. Le pire c’est que les répondants en surpoids ont intériorisé le dénigrement comme normal. 

Et pourtant, alors que certaines formes de discrimination sont largement médiatisées, d’autres sont passées sous silence.

Il a fallu attendre 2014 et une décision de la Cour de justice de l’Union européenne pour que l’obésité soit retenue comme handicap. Et L’Organisation internationale du travail, toujours en 2014, signale que l’apparence physique est un important motif de discrimination. 
Jusque là, on retenait surtout comme motifs de discrimination, l’origine, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, le sexe, la religion. Tous motifs de discrimination largement évoqués dans les médias et débats publics. 
Et pourtant l’apparence physique est un motif de sélection  qui fait ses preuves dans le tri des candidats à l’emploi. 

Pourquoi les obèses ne seraient-ils pas une minorité visible au même titre que les personnes de couleur noire? Après tout ils sont bien victimes de préjugés et discriminations, stigmatisés et sous-représentés en regard de leur grand nombre. 

Hélas pour beaucoup, accabler et railler les obèses serait faire oeuvre de pédagogie, car on préviendrait ainsi l’obésité par la honte.

Force est de constater que derrière ce rejet des physiques jugés inappropriés se cache une forme d’exclusion des milieux populaires, car la valorisation à l’extrême du paraître et de l’image « invisibilise » les plus démunis.

Au total, l’archétype de la personne peu présente dans les médias est une femme de plus de 50 ans, ouvrière, un peu grosse ou en situation de handicap. 
Lorsqu’on pense aux sources d’inégalités et d’injustices viennent à l’esprit l’origine sociale, le niveau d’instruction, les revenus et le patrimoine, le lieu d’habitation, le genre, la religion ou encore les origines migratoires. On oublie de mentionner le capital beauté et plus largement l’apparence physique qui ont pourtant des conséquences majeures sur les destinées individuelles. C’est ainsi que les mesures de diversité dans l’audiovisuel ou dans les entreprises n’incluent jamais le surpoids. C’est ainsi que les politologues qui scrutent pourtant en détail les électorats ignorent des caractéristiques comme le handicap alors qu’ils savent comment votent les chasseurs ou les lesbiennes. Dans nombre d’enquêtes, on organise même cette invisibilité. En faussant la réalité, en occultant des pans entiers de la discrimination, on abandonne à leur sort un nombre considérable de citoyens. Prendre en compte le jeu des apparences est essentiel pour répondre aux problèmes que vivent le plus grand nombre d’individus. Le prisme des apparences oblige aussi à refuser les simplifications. Il faut éviter de classer sommairement les individus en fonction de critères binaires .Les discriminations sont multiples, comme nos sources d’identification. 

Toujours est-il que la guerre contre les gros bat son plein.
Trop tard pour se raccrocher aux délices de se vivre comme un bon gros. Celui qui nous rappelle les bébés que l’on a envie de papouiller, celle que l’on préfère enlacer en s’imaginant plongé au cœur de l’Amazonie.
On voit bien qu’il y a une limite à ne pas franchir celle où vous passerez du statut de coussin doudou à celui de « grassouillard » infréquentable. Limite difficile à cerner variant au gré des représentations sociales, injonctions sanitaires et messages médiatiques.
Quand la frontière est franchie, vous avez toutes les chances d’être classé dans la catégorie des mauvais voire des méchants gros.

Les mauvais car c’est bien d’un jugement moral dont il s’agit. Le gros ne respecte pas les règles du bien manger. Il n’a aucune volonté, il  mange plus que sa part. Et là il exagère. Alors que d’autres doivent s’en remettre aux banques alimentaires et autres restos du cœur, voilà que notre méchant gros engloutit  la part des autres.
S’il est mauvais et cupide, il doit être condamné. Il est coupable. 
Le tribunal public n’a plus besoin de siéger. L’ordre sanitaire veille. Il lui suffit de lancer ses troupes. Et ses hérauts parcourent la cité et claironnent que les obèses ne sont plus les bienvenus, qu’il est temps de les soumettre à la vindicte publique et à la discrimination.

La double peine est en place : déjà condamné, le coupable se suicide à coups de régimes sans fin. 
Comment le gros va-t-il retrouver la liberté ?

Patience , tout va changer… après la transition nutritionnelle.
« La transition nutritionnelle désigne les changements dans les modes de vie et surtout dans l’alimentation qui se produisent dans de nombreux pays sous l’influence de l’urbanisation, de la marchandisation de l’alimentation, de l’industrialisation de la filière alimentaire et, dans une certaine mesure de la mondialisation.”(1)
On voit bien que certains, conscients de tous ces changements et de leurs conséquences mettent en place des projets. Projets qui visent à favoriser le raccourcissement de la distance entre producteurs et consommateurs, entre autres. 
Une lecture optimiste de la post-transition considère que « qu’il suffit de patienter pour que les processus culturels qui accompagnent et contrôlent les modèles alimentaires s’ajustent aux besoins énergétiques correspondant aux nouveaux modes de vie. » (1)

Ne rien faire serait le maître mot de cette lecture

Mais d’autres, à l’instar de ce qui se passe dans nos contrées, sont plus interventionnistes et veulent des changements plus rapides.

Comment en est-on arrivé là ?

(1) Sociologie de l’obésité. Jean-Pierre Poulain. PUF

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