La pandémie, un nouveau mythe ?

Voilà ce qu’on pouvait lire en 2006 dans le magazine de la communication et de la crise sensible. 
« Le sujet de la grippe aviaire, avec sa complexité et ses inconnues, est devenu maintenant une mine de confusions. Et surtout, une formidable machine à crises. Car toute nouvelle progression de la menace (réelle ou perçue comme telle), toute nouvelle ‘révélation’, est de nature à réactiver l’ensemble des craintes et des interrogations. Et nous ne sommes qu’au début de l’histoire. »  

Effectivement c’était le début de l’histoire…

La crise du coronavirus est le sujet de multiples questionnements et réflexions. 

Nous nous appuierons dans un premier temps sur quelques idées reprises dans le dernier chapitre du livre de Frédéric Keck « Un monde grippé ». Ed.  Flammarion 2010.

La pandémie est-elle un mythe ?

Ce qui nous interpelle, c’est l’absence de panique et la relative docilité de la population. Est-ce momentané ou relevant d’un autre mécanisme ? Ou cette crise est-elle l’occasion, encouragée par certains discours politiques, économiques, sociaux, de penser une autre société, un autre monde? C’est en ce sens que les propos de l’auteur peuvent nous aider . 

Il faudra d’abord comprendre le sens du mot mythe auquel l’auteur s’intéresse. Comment arrive-t-il à ce terme ?  « Les sciences sociales ont montré que la contagion des virus est toujours accompagnée d’une contagion des idées, du fait du caractère incertain et invisible des entités qui circulent en société , défiant ainsi les politiques de prévention constitutives de la modernité. La peur de la pandémie conduit à interroger le rôle de la totalisation dans la constitution de la société. Pour décrire cette gestion de l’incertitude dans un horizon de totalisation, les sciences sociales disposent de la notion de mythe. »
Pour l’auteur, « le mythe propose une vision du monde, c’est-à-dire qu’il fait percevoir toutes choses dans l’horizon d’un monde commun, en représentant contradictoirement ce monde comme devant être construit parce qu’il a toujours été menacé. Cette vision est équipée d’une économie morale et d’un récit historique qui explique comment et pourquoi nous nous trouvons dans la situation présente, en identifiant des méchants et des héros, en distribuant les blâmes pour les erreurs et les récompenses pour les triomphes. C’est un modèle universel de compréhension des interactions entre le monde des humains et le monde des microbes. »

Là on voit déjà comment certains éléments à l’œuvre s’articulent autour de cette notion de mythe. Les méchants sont peu identifiables, mais jusqu’à présent ils font l’objet de rejets aux frontières. Les vieux réflexes des nuages de Tchernobyl ne sont pas loin. 

Certains soulignent les risques inhérents à ce type de contagion.  Priscilla Wald dans « Contagious » (Duke univers press, 2008) analyse les récits de contagion en reprenant la notion de mythe; elle montre que ces récits ont pour trait commun de décrire un être à la fois extérieur et intérieur à la société, c’est la figure du patient zéro. Elle repère ainsi une rencontre entre la médecine et le mythe dans le croisement entre des taxinomies médicales et des émotions collectives autour de la peur de l’étranger. Elle critique la façon dont ces récits stigmatisent certaines populations en laissant de côté les facteurs comme la pauvreté et l’inégalité. La vision du monde des maladies infectieuses émergentes échoue à produire un monde commun parce qu’elle est instrumentalisée par certains groupes au détriment d’autres groupe. 

Pour le moment, ce type de risque ne semble pas encore présent mais qui sait…

Transformations en vue ?

Pour reprendre notre hypothèse de la transformation sociale qui pourrait résulter de cette pandémie , continuons à lire F. Keck. « Mais on peut aussi voir comment le mythe de la pandémie conduit à percevoir autrement le vivant ou pour reprendre le thème de Bergson comment le mythe implique une ‘mystique’. » 
L’auteur dit aussi qu’il a pris conscience de ce caractère mystique en réfléchissant à l’analogie entre la grippe et la grève. Elles conduisent toutes deux à se préparer à la catastrophe en évaluant les points de vulnérabilité dans le tissu social. 

Ne perdons pas de vue que lors de la crise sociale induite par le mouvement des gilets jaunes, certains rêvaient déjà et revendiquaient des modifications structurelles de la société. 

 » Charles Péguy a rédigé un texte intitulé ‘De la grippe’ dans les Cahiers de la quinzaine qu’il venait de fonder. Il raconte l’effet que produisit sur lui ‘tout un régiment de microbes ennemis’. Je croyais vaguement et profondément que j’étais solide. La grippe apparait ainsi comme une épreuve pour la consistance de la société car elle en révèle les vulnérabilités : elle révèle la mécanique sociale à la lumière d’une mystique.  La grippe conduit à incliner sa volonté individuelle devant une volonté générale, elle fait voir dans un moment de crise l’ensemble des interrelations constitutives de la société. » 

C’est la réémergence du collectif et sa victoire sur l’individualisme néolibéral. 

F. Keck dit qu’en 2009 on a assisté à l’échec de la mobilisation mondiale contre le virus H1N1 et donc à l’effondrement du mythe. Mais, ouf, Claude Lévi-Strauss a dit lui que les mythes ne meurent pas, ils se transforment. 
On peut parier que ce mythe connaîtra des nouvelles transformations, mais on peut aussi supposer qu’il libère davantage de possibilités mythiques. 
De nouveaux mythes mais lesquels et qui sera à la manœuvre ?

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