L'obésité

Pourquoi choisir l’obésité comme fil conducteur d’une réflexion sur la santé?

A priori, diront certains, nulle réflexion n’est nécessaire.

Tant le sujet est simple, un problème une solution. Moins d’énergie, plus de dépense, et la machine s’équilibre.
Et d’embarquer rapidement dans le train des précheurs du bon sens et des moralistes à 2 sous.

De plus en plus d’obèses, c’est peut-être la faute au monde moderne et à ses dérives ‘consommatoires’ mais c’est surtout la manque de rigueur et de volonté qui est mis en exergue par les hérauts du bien-être. Ceci n’est que la première scène d’une pièce qui comporte plusieurs actes.

Essayons d’y voir plus clair dans cet écheveau de complexités. En effet, l’obésité doit se voir à travers un prisme qui tient du kaléidoscope à multiples facettes: physiologiques, psychologiques, environnementales, sociales, culturelles, économiques, politiques, idéologiques…

Nous cheminerons en nous appuyant sut la lecture de plusieurs auteurs qui, peu ou prou, ont examiné quelques facettes de cette question. 

Au travail citoyens 

Ils y sont parvenus. Ils ont réussi à persuader le monde entier qu’un grave danger nous menace. Un de plus, me direz-vous. 
Cela fait le bonheur de certains, tous ceux qui nous présentent, à grands renforts de publicité, les moyens de s’en sortir. Et pourtant, ces derniers ne sont guère efficaces.
Si l’on s’en réfère aux auteurs qui ont analysé l’utilisation de la peur dans les messages de prévention (https://questionsante.org/assets/files/BSS/BSS-2003-peur-prevention.pdf), la peur pourrait être mauvaise conseillère. En effet, nous disent ces auteurs, si la réponse recommandée est perçue comme non efficace, le sujet aura tendance à nier et rejeter le message.
On ne va pas s’arrêter à cet échec. On passera du curatif au préventif. Les obèses ne maigriront pas, mais on peut intervenir en amont. Il faut tout faire pour qu’ils n’y arrivent pas. A prendre du poids…

C’est ici que les obèses devraient pouvoir souffler. Ils sont délivrés d’un grand poids. Enfin pas complètement. Ils doivent encore veiller au bien-être de leurs rejetons. Mais, en considérant les campagnes contre le tabagisme, ils penseront qu’ils peuvent s’appuyer sur les pouvoirs publics pour mettre en oeuvre des campagnes de salut public. Pour encadrer les futurs obèses. 
Après tout, c’est leur job de nous protéger et de veiller à notre bien-être. Il serait peut-être plus rationnel de remettre en place des stratégies de partage de responsabilités. 

Comment en est-on arrivés là ?

C’est assez simple, on emmagasine de plus en plus, et on dépense moins. 
En outre, on mange de plus en plus mal: beaucoup de sucres, de graisses. Et n’importe quand, c’est évidemment lié aux modifications de la vie professionnelle. 
Et pourtant nous n’avons jamais été autant informés que maintenant. Mais les informations sont parfois difficiles à digérer. Des informations contradictoires sont délivrées, beaucoup sont associées à des messages publicitaires et sont largement communiquées dans un contexte de culpabilisation et peuvent être perçues comme anxiogènes.

C’est ainsi que Claude Fischler peut évoquer la cacophonie diététique. Les mangeurs ont l’impression de vivre dans une « cacophonie diététique », une confusion de prescriptions et de mises en garde dans laquelle ils ne parviennent pas, ou difficilement, à se retrouver, à concevoir et exercer un sain gouvernement du corps.(1)
Ce phénomène apparaît dans un contexte de médicalisation de la société. Difficile de trouver un média qui ne vous parlera pas de la valeur santé et qui, en faisant appel à l’un  ou l’autre expert, vous conseillera dans cette quête du graal : le bien-être retrouvé.
L’ennemi est désigné et ses représentants, les obèses, doivent se « fondre » dans l’ordre nouveau.

 L’épidémie s’étend 

A en croire un article paru dans la presse récemment, l’épidémie ne concerne plus seulement les obèses mais aussi les dénutris, cela fait quelques milliards . De plus ces épidémies sont interreliées avec les changements climatiques. Autre constat, les victimes de l’épidémie peuvent faire équipe avec les proies de l’industrie du tabac. En effet l’industrie alimentaire serait largement responsable des dommages alimentaires.

Bonne nouvelle pour les obèses. Ne vous torturez plus avec le régime dernier cri.  » Nos régimes alimentaires sont profondément formatés par un environnement alimentaire qui, notamment par la publicité qui nous cible, fait passer l’augmentation des profits du secteur de l’industrie de l’agroalimentaire au-dessus de la santé des populations : le marketing de boissons sucrées, de confiseries et de snacks vers les enfants et les adolescents en constitue la face la plus scandaleuse. Les mesures que nous devons prendre d’urgence pour atténuer les ruptures climatiques sont retardées, voire arrêtées, par les acteurs économiques qui y voient une menace pour leur compétitivité et continuent de faire passer la maximalisation des profits devant l’intérêt des générations futures « , plaide Olivier De Schutter, Rapporteur spécial du conseil des Droits de l’Homme de l’ONU pour le droit à l’alimentation entre 2008 et 2014.

La solution ne viendra pas de vous en ligne directe mais des politiques que vous aurez élus.  » Permettre aux décideurs politiques de travailler à l’abri de l’influence des lobbies, améliorer la transparence et la reddition des comptes de l’action publique, et favoriser les mécanismes de démocratie participative, c’est se donner les moyens d’avancer tout à la fois sur la santé, sur l’environnement et sur la justice sociale « , explique Olivier de Schutter.

Ouf, heureusement qu’on peut compter sur eux pour nous débarrasser des importuns qui sont prêts à nous pourrir la vie. Ceci dit les questions que pose l’obésité méritent encore notre attention. La liberté des gros est bien mise à mal. Ils seront bientôt placés sous surveillance rapprochée. En effet, l’OMS nous met en garde: l’Europe reste menacée par une épidémie d’obésité et de surpoids. Un tiers de la population mondiale est concerné par cette épidémie.

Vous renaclez, vous vous révoltez contre cette mise sous tutelle? Vous y voyez un abus d’autorité? Vous vous interrogez sur l’usage immodéré de la peur dans les communications relatives à la santé? Mais, que dites-vous, les vieilles recettes sont toujours d’actualité! Elles ont fait leur preuve dans le passé.

L’hygiénisme est un courant de pensée apparu au milieu du XIXe siècle suite entre autres aux travaux de Pasteur.  Il visait à mettre en place un certain nombre de mesures pour améliorer la santé publique. Tout a été fait pour qu’enfin , le corps sain puisse cohabiter avec une société juste et apaisée.
Les programmes de santé publique ont mis en évidence la tension entre la recherche de la protection de la santé de la collectivité et la liberté de l’individu. C’est souvent un exercice d’équilibriste.
Un certain nombre de comportements sont qualifiés à risque pour la santé. Et renvoient à la responsabilité de l’individu. Et la poursuite du bien-être, farcie de bonnes intentions , échappe difficilement à son lot d’allusions moralistes.
Le sujet de l’alimentation n’y échappe pas.
Nous n’allons pas remettre en cause les politiques de santé publique. D’autres s’en chargeront. Mais on peut jeter un regard critique sur les messages délivrés pendant les phases d’alerte concernant l’apparition de nouvelles « épidémies ». On pense ici au sida, à la grippe aviaire, à la maladie de la vache folle, à la Covid-19.

Et on peut questionner son corollaire rarement absent, qui est la moralisation, outrancière ou sous-jacente, des dits messages.

Triple peine pour les gros : mauvais, méchants et dangereux

Et on ne vous parle pas de la quatrième : à peine sortis, près de 90% échouent dans leur réinsertion.
Le combat contre l’obésité a des similitudes avec la lutte contre le tabagisme. On parle à des sujets convaincus : beaucoup veulent perdre du poids, arrêter la clope.
Facile à dire… Et le recours aux messages terrorisants n’est guère convaincant.
Qui a dit que j’étais gros. Oui qui l’a dit ? Votre compagne, votre époux, votre voisin, votre amie, votre médecin, votre miroir, le test de votre magazine ?
Pas de chance, il fallait vivre à une autre époque ou dans d’autres contrées.
L’ethnologue Homberg rapporte que dans le bassin de l’Amazone  » une partenaire sexuelle désirable doit être, outre jeune, grasse ». Mais depuis le début du XXe siècle, le modèle sablier est apparu et depuis la minceur s’est imposée comme modèle  pour les femmes.

Histoire de regards 

A chacun de se regarder le nombril et de remarquer comme on en vient à examiner le pourtour de ce dernier. Pourquoi la valorisation des tablettes de chocolat qu’on exhibe et le rejet de celles qu’on avale ?
On est bien obligé de s’intéresser aux considérations morales qui déterminent cette appréciation. Déjà à la Renaissance on associe grosseur et mollesse et paresse. Le gros serait incapable. Cela n’a guère changé depuis.
Autre considération intéressante est la distinction “genrée” des corps trop gros. Cachez ce ventre que je ne saurais voir aurait pu s’exclamer Tartuffe. On est plus sévère avec le corps des femmes. Il est inscrit dans une exigence sociale d’apparence et d’éveil du désir. Avec pourtant bien des contradictions dans cette critique. Les trop minces peuvent être montrées et être les parangons de l’esthétisme mais ne sont pas pour autant désirables.

Le regard sur l’obésité se double aussi de considérations sociales. Auparavant le gros riche pouvait être valorisé. On parle aussi d’alimentation riche. Est-on sûr qu’il n’en reste pas des traces dans les résistances inconscientes à s’astreindre à des régimes “pauvres”.

On le voit le gros est soumis à des jugements sans appel. La stigmatisation est à l’oeuvre. Avec le support des troupes médicales et médiatiques, la guerre à l’épidémie est lancée. Le retour à la normale exige que l’on mette au pas les obèses.
Et pourtant ils résistent. Les obèses n’arrivent pas à quitter leur corps de souffrance.  » Parfois mieux vaut être noir et homosexuel » (Lu dans La société du paraître J-F Amadieu Ed Odile Jacob).

Dans une enquête menée par l’Insee la question suivante a été posée : “est-il arrivé que l’on se moque de vous, que l’on vous mette à l’écart, que l’on vous traite de façon injuste ou que l’on vous refuse un droit…” Les réponses ont montré que le poids et la taille étaient les premiers motifs invoqués, l’obésité étant le premier motif invoqué et ceci par un quart des victimes.
Rien de surprenant , me direz-vous. Quand on connaît la tyrannie de la minceur et du look… D’autant que dans un sondage réalisé en 2012 aux USA , 6 personnes sur 10 trouvent normal de faire des remarques sur leur poids aux personnes grosses. Le pire c’est que les répondants en surpoids ont intériorisé le dénigrement comme normal. 
Et pourtant alors que certaines formes de discrimination sont largement médiatisées, d’autres sont passées sous silence. Il a fallu attendre 2014 et une décision de la Cour de justice de l’Union européenne pour que l’obésité soit retenue comme handicap. Et L’Organisation internationale du travail, toujours en 2014, signale que l’apparence physique est un important motif de discrimination. 
Jusque là, on retenait surtout comme motifs de discrimination, l’origine, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, le sexe, la religion. Tous motifs de discrimination largement évoqués dans les médias et débats publics. 
Et pourtant l’apparence physique est un motif de sélection  qui fait ses preuves dans le tri des candidats à l’emploi. 
Pourquoi les obèses ne seraient-ils pas une minorité visible au même titre que les personnes de couleur noire. Après tout ils sont bien victimes de préjugés et discriminations, stigmatisés et sous-représentés en regard de leur grand nombre. 

Hélas pour beaucoup, accabler et railler les obèses serait faire oeuvre de pédagogie, car on préviendrait par la honte l’obésité. Derrière ce rejet des physiques jugés inappropriés se cache une forme d’exclusion des milieux populaires car la valorisation à l’extrême du paraître et de l’image “invisibilise” les plus démunis. Au total, l’archétype de la personne peu présente dans les médias est une femme de plus de 50 ans, ouvrière, un peu grosse ou en situation de handicap. 
Lorsqu’on pense aux sources d’inégalités et d’injustices viennent à l’esprit l’origine sociale, le niveau d’instruction, les revenus et le patrimoine, le lieu d’habitation, le genre, la religion ou encore les origines migratoires. On oublie de mentionner le capital beauté et plus largement l’apparence physique qui ont pourtant des conséquences majeures sur les destinées individuelles. C’est ainsi que les mesures de diversité dans l’audiovisuel ou dans les entreprises n’incluent jamais le surpoids. C’est ainsi que les politologues qui scrutent pourtant en détail les électorats ignorent des caractéristiques comme le handicap alors qu’ils savent comment votent les chasseurs ou les lesbiennes. Dans nombre d’enquêtes on organise même cette invisibilité. En faussant la réalité, en occultant des pans entiers de la discrimination, on abandonne à leur sort un nombre considérable de citoyens. Prendre en compte le jeu des apparences est essentiel pour répondre aux problèmes que vivent le plus grand nombre d’individus. Le prisme des apparences oblige aussi à refuser les simplifications. Il faut éviter de classer sommairement les individus en fonction de critères binaires .Les discriminations sont multiples, comme nos sources d’identification . 

Toujours est-il qu’en 2016, la guerre contre les gros bat son plein.
Trop tard pour se raccrocher aux délices de se vivre comme un bon gros. Celui qui nous rappelle les bébés que l’on a envie de papouiller, celle que l’on préfère enlacer en s’imaginant plongé au cœur de l’Amazonie (cf. plus haut).
On voit bien qu’il y a une limite à ne pas franchir, celle où vous passerez du statut de coussin doudou à celui de  » grassouillard  » infréquentable. Limite difficile à cerner variant au gré des représentations sociales, injonctions sanitaires, et messages médiatiques.
Quand la frontière est franchie, vous avez toutes les chances d’être classé dans la catégorie des mauvais voire des méchants gros.

Les mauvais car c’est bien d’un jugement moral dont il s’agit. Ie gros ne respecte pas les règles du bien manger. Il n’a aucune volonté, il  mange plus que sa part. Et là il exagère. Alors que d’autres doivent s’en remettre aux banques alimentaires et autres restos du cœur, voilà que notre méchant gros engloutit la part des autres. S’il est mauvais et cupide, il doit être condamné. Il est coupable. Le tribunal public n’a plus besoin de siéger. L’ordre sanitaire veille. Il lui suffit de lancer ses troupes. Et ses hérauts parcourent la cité et claironnent que les obèses ne sont plus les bienvenus. Il est demandé de les soumettre à la vindicte publique et à la discrimination. Ce qui fut fait !!

La double peine est en place : déjà condamné, le coupable se suicide à coups de régimes sans fin. 
Comment le gros va-t-il retrouver la liberté ? Patience , tout va changer… après la transition. “La transition nutritionnelle désigne les changements dans les modes de vie et surtout dans l’alimentation qui se produisent dans de nombreux pays sous l’influence de l’urbanisation, de la marchandisation de l’alimentation, de l’industrialisation de la filière alimentaire et, dans une certaine mesure de la mondialisation.” (3)
On voit bien que certains, conscients de tous ces changements et de leurs conséquences mettent en place des projets. Projets qui visent à favoriser le raccourcissement de la distance entre producteurs et consommateurs, entre autres. 
Une lecture optimiste de la post-transtion considère “qu’il suffit de patienter pour que les processus culturels qui accompagnent et contrôlent les modèles alimentaires s’ajustent aux besoins énergétiques correspondant aux nouveaux modes de vie” (3).

Ne rien faire serait le maître mot de cette lecture. 
Mais d’autres, à l’instar de ce qui se passe dans nos contrées, sont plus interventionnistes et veulent des changements plus rapides.

Il semble que le choix de la lutte est pertinent. Lutte contre l’obésité ou lutte contre les discriminations et avec elle lutte contre la moralisation de la santé publique?

R. Bontemps

(1) Claude Fischler. Le complexe alimentaire moderne. Communications, n°56, 1993
(2) Claude Fischler. L’homnivore.
(3) Jean-Pierre Poulain Sociologie de l’obésité . PUF

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