A l’heure actuelle, le ton est à la méritocratie. Il suffit d’entendre les discours de notre voisin jupitérien pour s’en convaincre. Mais cela ne date pas d’hier. Les self-made men nous font la morale depuis bien longtemps. Et au moment où la course au bien-être est lancée, les trophées sont distribués aux plus méritants.
Chacun devrait sa position sociale ( et son état de santé) à son mérité intrinsèque.
Il est intéressant face à cette situation de se référer au livre de l’épidémiologiste Richard Wilkinson “Pour vivre heureux, vivons égaux ».
Que nous raconte-t-il ?
Or, ce que nous avons découvert, c’est qu’il existe bien un lien majeur entre aptitudes et réussite sociale, mais en sens inverse. Nos capacités, nos centres d’intérêt sont en grande partie déterminés par le milieu, le contexte dans lequel nous grandissons. C’est un peu comme si, au gré des hasards, notre vie se jouait aux dés, mais des dés lestés différemment selon notre origine.
Comme l’a montré notamment Thomas Piketty, les inégalités se sont fortement accrues ces dernières décennies dans la plupart des pays riches, retrouvant leur niveau du début du xxe siècle. Et lorsque les différences entre les uns et les autres deviennent plus prononcées, plus visibles, la conviction que la richesse, la position sociale reflètent la valeur en soi des individus s’ancre dans les esprits. Notre sensibilité au statut s’exprimant dans toutes sortes de choses, le goût esthétique, la culture, l’éducation et nos préjugés de classe s’accentuent. Les personnes occupant le sommet de la pyramide sont vues comme brillantes, remarquables, et celles qui en composent la base, comme paresseuses, malhonnêtes, stupides.
La même opinion est de mise pour l’évaluation des gens obèses , ils sont vus comme paresseux et faibles. C’est de leur faute et lié à leur manque de ténacité, après tout, entend-t-on.
Continuons la lecture de Wilkinson.
On constate une corrélation très forte entre le niveau des inégalités et notre état de santé. Lorsque celles-ci s’accroissent, les maladies cardio-vasculaires, les addictions, l’obésité ou encore l’échec scolaire, pour ne prendre que ces exemples, frappent d’autant plus les moins favorisés bien que ces maux s’aggravent aussi pour l’ensemble de la population. Et s’agissant des désordres anxieux, de la dépression, les écarts sont spectaculaires entre les pays plus ou moins égalitaires : une personne sur quatre aux Etats-Unis déclare avoir connu une forme de maladie mentale au cours de l’année écoulée contre seulement une sur dix au Japon ou bien en Allemagne.
Rien de nouveau sous le soleil. On l’a dit et répété, les problèmes de santé sont corrélés avec la situation sociale. Mais souvent on invoque le manque de moyens d’information, de moyens économiques, de moyens éducatifs. De moyens quoi ! Il suffirait qu’ils soient plus riches, mieux éduqués, plus informés. C’est peut-être vrai. Mais quand on s’intéresse à la question de l’obésité, il y a déjà un hic. Elle concerne aussi des plus informés, et disposant de moyens économiques.
Poursuivons notre lecture!
Ces sociétés où les hiérarchies sont très prononcées fragilisent l’estime de soi, rendent les comparaisons stressantes, l’on se prend à douter de sa propre valeur. Toutes ces inquiétudes que nous connaissons bien, ne pas être à la hauteur, paraître idiot, ennuyeux ou laid, s’exprimer devant une assemblée, flambent, c’est ce que l’on appelle la menace d’évaluation. Deux psychologues américains en ont mesuré les effets : face à une tâche désagréable comme résoudre un problème mathématique, ou travailler dans un environnement très bruyant, dès qu’entre en jeu le regard des autres sur ce que nous devons accomplir, la sécrétion de cortisol, une hormone centrale dans le stress, est multipliée par trois.
Or s’il est bien un domaine où l’évaluation est constante c’est celui qui nous occupe. Deux caméras nous scrutent en permanence. Le miroir et la balance, cela ressemble au titre d’un mauvais film. Et même s’ils sont réservés à notre sphère intime, ils sont les témoins du regard incessant des autres sur notre valeur.
Des études portant sur de larges échantillons de population aux EtatsUnis et en Grande-Bretagne attestent les effets délétères des hiérarchies sur notre santé tant physique que psychique, qu’il s’agisse d’adultes ou d’adolescents ou même d’enfants. Ce qui est en jeu, ce n’est pas tant notre niveau de revenu en soi que la pression exercée par le rang social, la comparaison vis-à-vis des personnes, des familles aux côtés desquelles nous vivons.
Intéressant de remettre ce paragraphe en liaison avec celui concernant la discrimination. Les obèses chutent-ils par paresse, par aboulie ou peur de l’échec?