S’informer n’est pas prendre connaissance. Parfois, et même souvent, on l’oublie. On oppose la vérité au mensonge, ou les fake news à celles qui ne le sont pas. Mais comment démêler l’écheveau de la « réalité brute », de l’opinion, de l’interprétation?
Dans ces temps de crise et d’accélération d’informations, cela mérite qu’on s’y intéresse. Comment se fait la rencontre dans notre esprit de la perception sensorielle et de sa transformation en prise de conscience?
Le docteur Naccache développe le sujet de la prise de connaissance dans le livre : « Perdons-nous connaissance ? » paru aux Ed. O. Jacob.
Naccache parle des Dr Sperry et Gazzaniga, « qui ont étudié la spécialisation des hémisphères cérébraux . Chez certains malades la section du corps calleux qui assure la communication entre les 2 hémisphères a permis de constater le rôle de de chacun de ces hémisphères et l’importance de leurs échanges. Gazzaniga a découvert que lorsqu’on soumet un hémisphère à certaines questions l’autre s’en sort en inventant une explication imaginaire et fictive à laquelle il croit en toute bonne foi. Les malades neuropsychologiques nous ont aidés à mettre au jour une dimension de notre condition humaine, celle qui fait de nous des êtres qui ont recours à la fiction , à l’interprétation et à la croyance de manière irrépressible. »
Ainsi quand on s’intéresse à la connaissance, il nous faut réaliser qu’il n’y a « pas de connaissance sans sujet et donc pas de connaissance sans système de fictions-interprétations-croyances« .
On nous l’avait déjà dit bien souvent: quand on s’intéresse aux résultats des expériences scientifiques, il faut se rappeler que la réalisation de ces expériences dépend du point de vue de l’expérimentateur.
« Qu’est-ce distingue une information d’une connaissance, c’est la prise en compte du sujet. C’est la relation d’un sujet avec son lot de croyances, son identité, son histoire propre et sa narration personnelle, avec un jeu d’informations extérieures au contenu de sa conscience« .
Chaque distribution d’une information est soumise à la transformation de celle-ci par son émetteur et le même circuit vaut pour le récepteur. Ces notions bien connues quand on parle de communication sont mises en évidence ici sous le prisme des neurosciences.
A ce sujet il est intéressant de se rappeler l’effet placebo: « celui-ci repose avant tout sur des mécanismes de croyance et il peut parfois opérer indépendamment du contenu de l’objet. »
A quoi assistons-nous ?
Les clans s’affrontent ? Car ils ne remettent pas en cause leur connaissance car elle est vraie, pensent-ils. S’ils doivent réaliser que ce qu’ils pensent est fictionnel, le danger est une véritable remise en compte identitaire. « La connaissance repose sur l’accès à l’information certes, mais ne s’y résume pas. La connaissance est une histoire de JE. Une histoire de sujets qui en vivant cette expérience quotidiennement courent le risque de réviser leurs modèles de croyances et d’interprétations du mode et d’eux-mêmes.«
Vivre avec les autres, ce serait donc accepter la coexistence de plusieurs histoires…
Par exemple, l’histoire de cette pandémie est multiple, bien que les médias tendent à en donner un récit unique. En étant attentif, on perçoit pourtant facilement que le récit des virologues (centrés sur l’infection) ne correspond pas à celui des politiques (concernés par la complexité des conséquences sociétales de la pandémie), que celui des jeunes ne concorde pas avec celui des personnes plus âgées et donc plus vulnérables aux conséquences de l’infection, que celui des soignants confrontés quotidiennement à la maladie et ses souffrances est éloigné de l’insouciance relative d’une partie de la population.
Cette variété de connaissances est souvent source de clivage entre des groupes de citoyens (certains politiques et groupes de pression ne se privent pas de jeter de l’huile sur le feu). Elle pourrait pourtant aussi être source d’échanges et d’enrichissement du débat public…
R. Bontemps