La lecture du livre de Sébastien Bohler « Le bug humain » (Ed R.Laffont) est bien intéressante. A lire ce docteur en neurosciences, « notre cerveau est programmé pour poursuivre quelques objectifs essentiels liés à sa survie: manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, le faire avec un minimum d’efforts et glaner un maximum d’informations sur son environnement ».
C’est la partie profonde du cerveau, le striatum, qui est aux commandes. Le principe est simple: « quand un comportement se traduit par de meilleures chances de survie, le striatum est inondé de dopamine et le comportement en question est renforcé. La dopamine a deux effets: procurer un sentiment de plaisir et renforcer les circuits de commande neuronaux qui ont supervisé l’opération avec succès ».
Depuis les régions profondes du cervea , de longs axones ( des espèces de cables ) innervent les autres régions du cortex. « A partir du moment où l’on a découvert le moteur du plaisir qui nous gouverne, ainsi que sa tendance à l’excès , toute une série de comportements furent observés à travers un prisme différent. »
A la suite de l’observation des primates, on peut déceler « une affinité puissante du cerveau pour tout ce qui se passe en termes de hiérarchie et de comparaison sociale au sein d’un groupe ».
Une autre loi, la loi du moindre effort, est à comprendre en termes d’économie de l’organisme biologique: « on minimise les dépenses d’énergie dans la recherche des moyens de subsistance pour augmenter ses chances de survie dans un environnement hostile. Et ceci est dévolu à d’autres neurones , qui réalisent la mesure du rapport entre le coût et le bénéfice du comportement ».
Cela tombe bien me direz-vous, le chômage s’est accru et les robots nous promettent la mise au repos de nombreux travailleurs… La société de loisirs s’occupera de nous et pour ce qui en est de la comparaison sociale, un autre outil tout récent s’occupera de nous abreuver, à savoir Facebook.
S’il fallait brosser un portrait robot de l’être humain du XXIe siècle dans une large partie du monde industrialisé ce serait celui d’un individu en surpoids, se déplaçant peu, travaillant de moins en moins, se distrayant par des jeux vidéo, se gavant d’informations sur des écrans, faisant une forte consommation de pornographie virtuelle et vérifiant toutes les dix minutes si l’image qu’il envoie au monde entier par les moyens de télécommunication numérique est aussi avantageuse qu’il le souhaiterait. « Pour la première fois les moyens technologiques sont en mesure de satisfaire les cinq grands piliers de l’activité animale: nourriture, sexe, effort minimal, statut social et information. Mais… nous sommes programmés pour vouloir toujours plus. Mon cerveau me récompense si j’obtiens plus que la dernière fois.
Et en plus, pour le striatum le futur ne compte pas. Le phénomène de dévalorisation temporelle est à l’oeuvre: plus un avantage est éloigné dans le temps, moins il a de valeur pour le cerveau. Il y a bien des structures (appelées faisceau frontostriatal) qui peuvent contrer ce phénomène. Mais pour cela il faut les renforcer ( entre autres par des éléments liés à l’éducation et à l’environnement socio-culturel).
« L’humain est inadapté. Le drame de sa condition réside dans le fait que ses moyens techniques, tout en s’accroissant au fil des siècles, ont toujours été mis exclusivement au service des objectifs prioritaires de son striatum. L’immense cortex d’Homo sapiens en lui offrant un pouvoir toujours plus étendu a mis ce pouvoir au service d’un nain ivre de pouvoir, de sexe, de nourriture, de paresse et d’ego ». Pour le moment et bien souvent « le cortex propose, le striatum dispose »!
Qu’avons nous comme options ?
Il en reste deux. Primo, prendre le striatum à son propre jeu. Dans ce cas il s’agit de trouver d’autres renforceurs de plaisir. Mais le piège est tendu en permanence: le risque d’un nouvel esclavage est toujours présent!
Il nous reste la deuxième option: faire appel à la conscience. Il s’agit de rééduquer son cerveau pour apprendre la modération. Tout un programme… Quand on voit comment le monde réagit face au péril écologique qui se dessine, il y a des raisons de douter de notre capacité de mettre ce programme en chantier. C’est pourquoi ce livre est sous-titré « pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher ».
Si on applique ces concepts au phénomène de surpoids qui touche nos sociétés, ils peuvent expliquer en partie la difficulté de se mettre au régime et surtout de maintenir les pertes de poids engendrées par ces dits régimes. Mais on comprend bien qu’ignorer la part du plaisir dans la mise en place des régimes tend à leur proposer une mort annoncée. Mais on a vu aussi que ne pas se pencher sur la question socio-politique de la malbouffe rend la tâche encore plus compliquée. Car cette cécité oblige les gros à se sentir seuls responsables du malheur qui les accable. Heureusement pour eux ils sont nombreux. Vont-ils pouvoir, à l’instar des gilets jaunes, initier le mouvement des … j’ai du mal à trouver un qualificatif non discriminant.
Le questionnement de la faim et de la satiété est à poser non seulement dans la recherche d’une solution pour l’obésité mais aussi, et peut-être nous sera-t-il imposé de force, dans la déconstruction de la société capitaliste. Par ailleurs, le problème de santé posé par l’obésité intervient à une époque où l’on parle beaucoup de bien-être, réussite et bonheur. Et quand on parle réussite, comment ne pas évoquer l’échec ?
R. Bontemps