Nous avons parlé dans un article récent d’histoires communes, quand nous nous sommes penchés sur le sujet de la prise de connaissance.
Quand cela a-t-il débuté et à quoi cela peut-il bien servir ? Car à première vue cela devrait déboucher -ce qui arrive bien souvent d’ailleurs- sur des conflits.
Dans « Sapiens, une histoire de l’humanité » (1), l’auteur évoque l’apparition du langage et la théorie qu’on peut en déduire.
« Selon une deuxième théorie, notre langage unique aurait évolué comme moyen de partager des informations sur le monde. Mais l’information la plus importante qu’il fallait transmettre concernait les humains, non pas les lions ou les bisons. Notre langage a évolué comme une manière de bavarder. Suivant cette théorie, Homo sapiens est essentiellement un animal social. La coopération sociale est la clé de notre survie et de notre reproduction. Il ne suffit pas aux hommes et aux femmes de savoir où sont les lions et les bisons. Il importe bien davantage pour eux de savoir qui, dans leur bande, hait qui, qui couche avec qui, qui est honnête, qui triche. »
Si cela concernait peu d’individus à cette époque, l’inventeur du langage ferait fortune actuellement. Avec le développement des réseaux sociaux, la distribution d’informations (à chacun de les qualifier) a pris un fameux tournant.
« Les nouvelles capacités linguistiques que le Sapiens moderne a acquises voici quelque 70 millénaires lui ont permis de bavarder des heures d’affilée. Avec des informations fiables sur les personnes de confiance, les petites bandes ont pu former des bandes plus grandes, et Sapiens a pu élaborer des formes de coopération plus resserrées et plus fine. »
Là où cela devient très intéressant, c’est quand l’auteur évoque la place de la fiction dans l’élaboration et la consolidation des groupes sociaux.
« Légendes, mythes, dieux et religions – tous sont apparus avec la Révolution cognitive. Auparavant, beaucoup d’animaux et d’espèces humaines pouvaient dire : « Attention, un lion ! » Grâce à la Révolution cognitive, Homo sapiens a acquis la capacité de dire : « Le lion est l’esprit tutélaire de notre tribu. » Cette faculté de parler de fictions est le trait le plus singulier du langage du Sapiens. »
Tout le monde a pu réaliser l’importance de la fiction dans son rapport à lui-même et au monde. On comprend que l’imagination est la meilleure et la pire de nos facultés. Mais il est bon de prendre conscience que l’usage de la fiction est un fameux coup de pouce à la construction sociale.
« C’est la fiction qui nous a permis d’imaginer des choses, mais aussi de le faire collectivement. Nous pouvons tisser des mythes tels que le récit de la création biblique, le mythe du Temps du rêve des aborigènes australiens ou les mythes nationalistes des États modernes. Ces mythes donnent au Sapiens une capacité sans précédent de coopérer en masse et en souplesse. Fourmis et abeilles peuvent aussi travailler ensemble en grands nombres, mais elles le font de manière très rigide et uniquement avec de proches parents. Loups et chimpanzés coopèrent avec bien plus de souplesse que les fourmis, mais ils ne peuvent le faire qu’avec de petits nombres d’autres individus qu’ils connaissent intimement. Sapiens peut coopérer de manière extrêmement flexible avec d’innombrables inconnus. C’est ce qui lui permet de diriger le monde pendant que les fourmis mangent nos restes et que les chimpanzés sont enfermés dans les zoos et les laboratoires de recherche. »
Les états, les églises, les systèmes, sont des constructions fictionnelles qui nous permettent de coopérer ensemble. « Pourtant, aucune de ces choses n’existe hors des histoires que les gens inventent et se racontent les uns aux autres. Il n’y a pas de dieux dans l’univers, pas de nations, pas d’argent, pas de droits de l’homme, ni lois ni justice hors de l’imagination commune des êtres humains. »
On comprend d’autant mieux le rôle de la fiction qu’on l’a déjà étudié en apprenant que la prise de connaissance est l’histoire qu’on s’en raconte. Mais comment une fiction rassemble-t-elle les autres ? Il faut croire que le besoin de sécurité et le besoin social trouvent là satisfaction . « Quand ça marche, pourtant, cela donne au Sapiens un pouvoir immense, parce que cela permet à des millions d’inconnus de coopérer et de travailler ensemble à des objectifs communs. Essayez donc d’imaginer combien il eût été difficile de créer des États, des Églises ou des systèmes juridiques, si nous ne pouvions parler que de ce qui existe réellement, comme les rivières, les arbres et les lions. »
Quand on réalise que les histoires qui déterminent nos comportements sont en partie nos propres fictions et les fictions qui nous rassemblent, la vie peut sembler bien compliquée. « Contrairement au mensonge, une réalité imaginaire est une chose à laquelle tout le monde croit; tant que cette croyance commune persiste, la réalité imaginaire exerce une force dans le monde. »
La remise en cause des réalités et des croyances est le sujet de bien de controverses. Pensons à ce sujet aux débats actuels concernant le coronavirus. Il suffit de se rappeler tout ce qui a été dit, communiqué, dans un sens puis dans un autre au sujet du port du masque. Et ensuite constater ce que tout un chacun en pense. Les études réalisées montrent que les avis ont évolué avec le temps. La réalité serait que le masque nous protège, les croyances seraient qu’il serait dangereux pour la santé, voire qu’il est un prétexte pour imposer un nouvel ordre oppressif.
Et vous qu’en pensez-vous ?
(1) Sapiens Yuval Noah Hariri. Ed Albin Michel