Où l’ordre côtoie le médiocre

Dans ces temps agités, quand une cause d’angoisse en chasse une autre, on en vient à souhaiter la paix, la sécurité, l’ordre. Mais très vite on s’en veut aussi de se réfugier dans ce type de valeurs qualifiées de bourgeoise, sénile, voire médiocre. 

Et pourtant on a vu lors du premier confinement un déchaînement de la remise en ordre, de la chasse aux objets inutiles, du regain d’intérêt pour la mise en valeur de son « intérieur ».

Un auteur, Thomas Clerc, en a fait un livre (Intérieur) dans lequel il décrit, explore son petit appartement et son goût pour l’ordre. 

« J’ai cette idée que nous sommes submergés par la réalité, par sa profusion, surtout dans notre civilisation industrielle, matérielle, où l’on produit beaucoup d’objets et de déchets. Pour moi, il y a une exubérance du monde. Et comme ce foisonnement menace de nous envahir, j’essaie d’y introduire des éléments d’ordre. J’espère, pour autant, que cela ne vous paraît pas morbide…» 

 « On associe souvent l’ordre au morbide, poursuit Thomas Clerc, mais si vous vous intéressez à l’âge classique, vous vous rendez compte qu’il y avait alors une positivité de l’ordre, avec une volonté de transparence, d’harmonie, de clarté, qui s’exprime à la fois dans l’architecture et dans la littérature.J’essaie de contrer le désordre que je ressens en gouvernant les choses. » 

Faudrait-alors penser que les gens structurés dans leurs pensées préfèrent le désordre, s’accommodent d’un certain foutoir domestique ? 

Quand on met de l’ordre, on est confronté également à : que fais-je de la poussière, de la saleté ? Mais qui va s’occuper du ménage? D’ailleurs après les guerres, on fait le ménage. Tâche servile, s’il en est, et confiée dans un réflexe machiste et patriarcal, aux femmes et autres serviteurs. 

Thomas Clerc s’intéresse aussi à la question: « Le ménage, c’est peut-être le petit négatif de la condition humaine. Moi, d’un point de vue non idéaliste, je m’intéresse aux basses tâches. C’est une manière de rabaisser l’orgueil humain. Faire les courses, nettoyer les WC… Les sociétés anciennes se sont organisées autour des esclaves et des domestiques auxquels on confiait ces corvées. Aujourd’hui, nous sommes devenus des auto-domestiques! Mais je crois que j’ai besoin de valoriser ce “bas matériel”, comme disait Georges Bataille, pour pouvoir travailler intellectuellement »

« On a eu ce réflexe, pendant le confinement, d’applaudir ceux qui se consacraient aux tâches qui jusque là passaient sous le radar, mais, à l’analyse, cela s’est révélé un feu de paille, probablement lié à un exercice incantatoire de recherche de sécurité »

On est encore loin de la valorisation de ces basses tâches, et de leur nécessité. 
La recherche de l’ordre, en plus d’être une question pour l’individu, est aussi un enjeu politique. On le verra plus tard.

Et Thomas Clerc d’ajouter à ce sujet :  « Pour ma part, je pense que nous ne sommes pas en démocratie si les gens n’ont pas un chez-eux, que c’est une garantie fondamentale, une richesse minimale. J’observe d’ailleurs que beaucoup de gens aiment décorer leur maison. Vous pouvez le voir comme une préoccupation médiocre. J’en ai tiré un infini. » 

Cfr Philosophie magazine 166 . T.Clerc 3Intérieur » Ed Gallimard

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